jeudi 10 janvier 2008

Rétention de sûreté

La loi sur la rétention de sûreté a été adoptée par l'Assemblée Nationale. Après l'accomplissement de leur peine, les criminels les plus dangereux pourront être déclarés particulièrement susceptibles de récidiver et, pour cette raison, internés dans des centres spécialisés (n'existant pas encore).
Badinter s'en offense, d'autres non. Certes, ces individus peuvent être dangereux pour la société. C'est en cette qualité qu'on les retiendra au-delà de leur peine, éventuellement jusqu'à leur mort. Cependant, j'ai du mal avec cette loi...


Tout d'abord, si l'on souhaite conserver une personne en prison après sa peine, c'est car elle risque de récidiver, et que ses actions passées nous font nourrir les pires craintes à propos de celles qu'elle risque d'accomplir une fois libre. Mais alors, si on s'autorise à emprisonner des gens pour ce qu'ils risquent de commettre, il n'y a plus aucun obstacle moral à la rétention d'une personne jugée susceptible de refaire du mal, même après avoir acquitté sa dette vis-à-vis de la société, mis à part l'appréciation du législateur ! Qui, par exemple, vient de décider que cette rétention de sûreté pourrait s'appliquer à tous les auteurs de crimes sur mineurs, alors qu'il faut que ces actes soient aggravés si ils ont eu lieu sur un majeur. Éolas (qui mène d'ailleurs une remarquable critique sur la forme de la loi), avance qu'on ne peut pas laisser ces criminels en liberté « au nom de bons sentiments ». C'est pourtant du sentimentalisme que de décréter que l'auteur d'un crime sur enfant mérite plus qu'un autre de subir cette rétention de sûreté ! Allez demander à la famille d'une victime adulte si son agresseur est moins dangereux parce qu'il a tué quelqu'un de plus de 18 ans.
C'est ouvrir une terrible boîte de Pandore que d'autoriser la détention préventive. Je ne parle évidemment pas d'une apocalypse à venir (arg, je ne suis pas digne de ma carte MJS), mais rien n'empêche le gouvernement, au prochain fait divers impliquant une récidive, d'étendre le champ d'application de cette loi.
Quelles seront les limites ? C'est exactement la même logique que dans le cas d'un cambrioleur venant d'être libéré qui recommence ses visites nocturnes, et qui aurait pu rester en prison au-delà de sa peine si on avait constaté que le regard du voleur était toujours présent dans ses yeux.
On envisage de retenir les auteurs de meurtres aggravés, parce que le risque de préjudice est trop important. Il ne s'agit, au fond, que d'une appréciation du "préjudice trop important", propre à chaque personne. Dans l'état, les assassinats et les crimes sur mineurs en font partie. Mettons que moi (je suis très conservateur), je trouve qu'il y a difficilement pire que le trafic de drogue. Et je pense qu'un vrai voyou, une vraie racaille, n'aura pas raccroché après 10 ans à l'ombre, et qu'aussi, pour éviter de donner des armes à l'industrie souterraine, on devrait le garder jusqu'à son repentir sincère. Qui sait, peut-être que le prochain garde des sceaux sera de mon avis... Ce sera si facile d'étendre le champ d'application de la loi. Il suffit que la vision du préjudice trop important change aux yeux du pouvoir (un cambriolage, quand même... c'est grave, et ça peut ruiner une famille).


Ça c'était la partie morale. Maintenant, dans les faits, peut-on laisser un meurtrier présentant tous les signes prémonitoires de la récidive sortir après 23 ans derrière les barreaux ?
On est tentés de répondre « non ». Mais garder une personne en prison, éventuellement à perpétuité, pour quelque chose qu'elle n'a pas commis, c'est la priver de sa vie. Et nous avons aboli la peine capitale : n'est-ce pas revenir sur un acquis majeur que d'instaurer une mesure visant à enfermer quelqu'un à vie sur une présomption (d'où la position de Robert Badinter, peut-être) ?
À noter que je ne m'insurge pas contre le principe des lourdes peines, que les juges choisissent quand elles sont nécessaires, mais contre une privation totale de liberté qui n'est pas destinée à sanctionner un acte avéré mais à prévenir une éventuelle rechute.
D'ailleurs, il y a pas mal de personnes potentiellement dangereuses dans la vie, et il serait naïf de croire que des criminels emprisonnés depuis 20 ans sont les pires. La différence entre une personne vierge de reproche mais très suspecte aux yeux de ses proches ou même de son médecin, et un meurtrier emprisonné n'ayant pu faire de mal à personne pendant 20 ans mais déclaré à risque par un expert n'est pas si évidente... Sauf que ce dernier risque de passer sa vie en prison.
L'argument de l'application de ces dispositions à une « infime minorité », repris par Philippe Bilger dans l'article lié au début de ce billet, n'est qu'une justification. La peine de mort, dans ses 10 dernières années, n'a concernée que 6 criminels. Plus infime comme minorité, je sais pas si c'est possible, et pourtant.
Certains diront qu'en libérant ces personnes, si on ne les prive pas de leur vie, on met en jeu celle de quelqu'un d'autre, innocent qui plus est. Pourtant, il existe à ma connaissance des dispositifs de surveillance en direct (bracelet électronique) ou des mesures préventives (pilules anti-libido pour les criminels sexuels), qui prendraient tout leur sens dans ces cas. Je ne suis pas pour jeter dans la nature des meurtriers dont les experts jugent qu'ils pourraient récidiver. Cependant, il est impossible de soutenir un emprisonnement à durée indéterminée basé sur la dangerosité évaluée d'une personne, qui a déjà subi une très lourde peine.


C'est la solution de la facilité, et certainement pas celle de la justice, que d'emprisonner les malfaiteurs dont on craint la récidive. Ça me fait penser aux lépreux, qui étaient enfermés car dangereux pour les autres, au lieu d'être aidés.
Enfin, cette loi soulève des problèmes d'ordre pratique... Que dira-t-on à l'expert ayant autorisé la libération d'un criminel après la récidive de ce dernier ? Comment gérer des personnes se sachant pertinemment enfermées jusqu'à leur mort, et n'ayant, littéralement, rien à perdre ?

Mais bon, d'après Éolas, ce texte ne pourra être appliqué au minimum que dans 12 ans. Y a le temps.