jeudi 28 février 2008

Poitiers dit non ?

Rue89 a attiré mon attention sur cette affaire d'affectation à Poitiers d'un professeur d'Histoire du Droit qui fut président d'un groupuscule d'extrême droite. Récompensé du titre de major au concours de l'agrégation, il bénéficie maintenant de la possibilité d'enseigner à l'université, ce qui hérisse les poils de pas mal de monde.
Ainsi, le MJS 86 et Razzy(e) Hammadi (toujours à la pointe) ont signé la pétition "Poitiers dit non", qui s'oppose à cette décision, et qui a été initiée par un communiqué de l'université témoignant sa « vive inquiétude ».

Je ne vais pas tourner autour du pot : je trouve cette levée de boucliers particulièrement choquante. Ce mec a été condamné, il a été amnistié, il a passé avec succès un examen difficile... au nom de quoi devrait-on lui appliquer une telle double peine, principe contre lequel la Gauche s'est toujours battue, et refuser son affectation ?
S'il a atteint ce grade, c'est quand même qu'il arrive à faire la part des choses entre ses convictions et le contenu de ses cours... Et si jamais ce n'était pas le cas, ce qui serait une surprenante déclaration d'immaturité pour un agrégé, je suppose que le système universitaire contient suffisamment des garde-fous pour le déchoir de son titre ! Il s'est repenti, s'il fait une connerie, il sera sanctionné, en attendant, laissons lui sa chance.

Si la liberté d'expression a des limites législatives, la liberté de penser non. Et vu son diplôme, je crois qu'il connaît pertinemment l'étendue de ce qu'il peut dire et de ce qu'il ne doit pas dire.

jeudi 7 février 2008

La Gauche la plus bête du monde ?


J'ai eu la chance de pouvoir me procurer la prose de Razzy(e) Hammadi et de Claude Villers (l'ex-président du Tribunal des Flagrants Délires), à sortir le 14 février, « un pavé dans le marigot socialiste » dixit la présentation de l'ouvrage.
Claude Villers y expose sa profonde déception vis-à-vis de la Gauche, pour laquelle il ne vote plus que par habitude, et s'entretient avec Razzye, qui l'a séduit pour avoir « [voulu] secouer la torpeur ».


Notre ancien patron affirme dès le début que son but n'est pas de « faire exploser le PS », comme les médias aimeraient qu'il fasse, mais de se demander ce qui peut bien avoir « fait douté un Claude Villers de son engagement à nos côtés ». Noble intention, malheureusement écornée quelques pages plus tard quand il dénonce et nomme les responsables de l'inaudibilité du PS : Laurent Fabius, Ségolène Royal, Manuel Valls. Heureusement, seules quelques piques à Ségolène Royal alimenteront ses critiques personnelles, bien qu'il n'hésite pas à critiquer les instances du PS. Seul François Hollande est véritablement épargné par sa plume, retour de bonne grâce.


Dès le début, on peut s'amuser à repérer les inspirations de Razzye, par exemple celle de Kenneth E. Boulding, qui pensait que « toute personne croyant qu'une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », ce à quoi notre ex semble adhérer : « on ne peut rester sur un modèle de croissance infinie dans une planète où les ressources sont disponibles en quantité finie » ; ou encore celle de Sénèque, auteur du fameux : « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire mais parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles », qui devient : « ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les affrontons pas. C'est parce que nous ne les affrontons pas qu'elles nous semblent impossibles. »


En gros, son discours est assez cohérent et je suis globalement d'accord.
Soudain, c'est le drame ; Razzye a du tomber sur le numéro du Temps des Conquêtes pré-congrès, et on lit : « la gauche a cessé de faire peur aux bourgeois, elle les fait rire » (en septembre, c'était « la Gauche ne fait plus peur aux bourgeois, elle les fait rire », subtile évolution), perche que Claude Villers saisit vigoureusement : « parce qu'elle a pris leurs tics, parce que les gens du PS viennent de la droite bourgeoise ». Je maintiens ce que j'avais dit à la rentrée, et je m'attriste de ce discours prolétaire selon lequel on devrait faire trembler la classe moyenne. Et la réaction du journaliste est une énormité suffisamment grosse pour mériter d'être soulignée.
D'ailleurs, je dois bien dire que ses questions m'interpellent parfois : « Il y a beaucoup de gens qui attendent que quelqu'un leur parle dans leur langage. Qui parle le langage de la rue, des bistrots ? [...] Est-ce que les députés actuels représentent le peuple ? ». M'est avis que s'il devait y avoir des prérequis ou des compétences indispensables pour être député, parler le langage de la rue et des bistrots n'en ferait pas partie.
Villers dénonce aussi l'extension de la société de consommation, en prenant un exemple un peu malheureux : « même sur une chaîne publique, payée avec les deniers publics [...], on voit une météo sponsorisée. » Comme l'a révélé l'annonce de supprimer la pub sur France Télévision, la redevance ne suffit largement pas, en effet, à assumer les coûts inhérents à la gestion d'une chaîne de télé. Alors que si la redevance avait augmenté pour offrir une météo indépendante, avant la suppression des réclames, nul doute qu'il aurait été un des premiers à hurler à l'escroquerie des plus pauvres. On se demande à quelques occasions s'il ne serait pas un peu à la masse !


Une petite dose de bataille culturelle, pas mal de « travailler moins pour vivre plus », on est dans les rengaines classiques de Razzy(e) Hammadi. À propos, je trouve toujours cette conception de la réduction du temps de travail simpliste. Défendue par les deux intervenants, elle consiste à dire qu'il faut travailler moins pour pouvoir faire d'autres choses plus "épanouissantes" qui seront meilleures pour nous. Sans considérer un instant qu'un emploi puisse être très enrichissant et particulièrement intéressant, voir même une motivation pour vivre, ils décrètent que c'est meilleur pour nous de ne pas travailler. L'impression d'être utile, aimer ce qu'on fait, ces détails sont rangés au placard. À les lire, on croirait que le bonheur se limite à regarder la télé, à passer du temps avec sa famille, et à aller au musée. C'est indispensable, oui, mais ça ne peut pas suffire. En tout cas, certainement pas à tout le monde.
À titre personnel, je ne souhaite pas « marcher vers les 32h » comme il le prône, puisque j'espère avoir plus tard un métier intéressant auquel je souhaite consacrer (bien) plus que ça. Mais contrairement à ceux qui se prononcent aveuglement en faveur de cette idée, j'entends ceux qui parlent des métiers les moins intéressants et les plus pénibles. C'est pour ça que je défend le compromis, entre le "tout-travail" de l'ère Sarkozy et le "travaillons le moins possible" de Razzy(e) Hammadi. Que ceux qui ne font pas ce qu'ils aiment puissent vivre sans travailler plus, mais que les autres puissent s'épanouir librement dans leur activité. Les heures supplémentaires sont approchées dans cette optique par le tandem : elles n'existent que par nécessité de gagner plus, absolument pas parce que 35h dans une branche attrayante, c'est éventuellement peu. Je regrette que le travail soit abordé uniquement en tant qu'aliénation (du méchant capital).


Le reste du livre évoque les enjeux politiques nationaux principaux, la sécurité, la justice, la santé, l'éducation, et c'est plutôt intéressant dans l'ensemble. Rien de bien transcendant, mais c'est une bonne réflexion sur la situation de la gauche aujourd'hui, si on omet quelques points comme ceux que j'ai soulevé précédemment. Son passage sur la laïcité m'a fait très plaisir, tandis que son plaidoyer en faveur du Non à la constitution m'a irrité les capillaires.


Petit bonus pour le passage « dans ma ville d'Orly », qui m'a fait sourire ; Orly n'est sienne que depuis début novembre, tout de même.


Bref, pas mal, même si 15€ pour ça, ça chiffre (un peu). Sortie le 14 février...