Rue89 s'en félicite, des dizaines de commentateurs aussi, la cour d'appel de Versailles a estimé que les propos suivants ne sont pas diffamatoires :
Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété.
Gardons en tête, avant de poursuivre, la définition de diffamer, dont la seconde syllabe se prononce comme celle d'infâmeté :
Calomnier, imputer un fait qui atteint à l'honneur ou à la considération.
Wikipédia précise que le premier sens n'est pas requis pour qu'une déclaration tombe sous le coup de la loi en droit Français. La cour d'appel de Versailles a donc décrété que les propos ci-dessus n'atteignaient pas à l'honneur ou à la considération de la police. Soit, je ne connais pas les détails du jugement, je ne me prononcerai pas dessus, mais continuerai ce billet sur l'article de Rue89. Et plus précisément les réactions qu'il a suscité.
Anthropia, un riverain, accomplit son devoir de justicier masqué ainsi :
Les faits, toujours les faits.
Sont-ils morts ces enfants dans le transformateur,
sur la petite moto, au passage piéton ?
Les responsables ont-ils été condamnés ?
Rappelons la définition d'abattre : mettre à mort. Ce joyeux commentaire assimile donc l'accident ayant suivi le refuge de deux jeunes dans un transformateur EDF et la collision plus récente d'une voiture de police avec une mini-moto à une mise à mort de la part des forces de l'ordre, et dénonce l'impunité des coupables.
Trois affirmations en découlent :
- les responsables de ces deux accidents sont des policiers,
- ils n'ont pas été inquiétés,
- ainsi, la déclaration de Hamé est justifiée et n'est pas diffamatoire.
Je ne vais pas me lancer dans une analyse de ces deux drames, mais déclarer au lance-pierre que la police en était responsable me semble aussi rapide que mensonger.
Quand deux jeunes se réfugient dans un transformateur EDF et en meurent, on doit évidemment s'interroger sur les circonstances des faits. Mais cela ne doit pas se faire en occultant le choix qu'ils ont fait, c'est à dire aller se cacher à un endroit signalé par l'écriteau suivant :
En tenir responsable la police relève d'une démarche de dénigrement systématique des forces de l'ordre, qui se retrouvent à devoir assumer tout et n'importe quoi, pas à cause de leurs actes, mais à cause de leur statut.
Attention, je ne suis pas en train de délester les gardiens de la paix de toute responsabilité dans cette affaire ; deux d'entre eux ont d'ailleurs été mis en examen, ce qui ne m'évoque d'ailleurs pas une impunité débordante, pour non-assistance à personne en danger. Oui, les torts étaient partagés, mais parler ici de mise à mort me semble légèrement... décalé ?
Quant à l'accident de la circulation, il est également primordial de considérer l'ensemble du tableau avant d'émettre un jugement à l'emporte-pièce : deux jeunes sans casques sur une moto minuscule non autorisée à rouler sur la voie publique qui coupent la priorité à une voiture de police en patrouille. Alors oui, peut-être que la voiture roulait trop vite, et je ne l'exempte pas de ses torts, mais de là à dire que les policiers qui la conduisaient sont responsables de la mort des deux ados, il y a une abîme à ne pas franchir pour garder sa crédibilité.
Et quand bien même ces deux malheurs pourraient être entièrement imputés aux forces de l'ordre. Admettons. Pourrait-on parler d'assassinat, comme le fait Hamé ? C'est à dire d'homicide volontaire avec préméditation ?
Les riverains de Rue89 semblent en êtres convaincus.
Je suis heureux pour eux et pour les victimes passées (sans exagération).
Génial !!
Felicitation donc a Hame pour sa patience et sa motivation a faire respecter la justice.
Bravo à Hamé, bravo à la défense. Merci pour tous celles et ceux qui ont eu et ont encore à baver des abus policiers.
Et de centaines d'assassinats ? Oui, car :
Les victimes [...] sont les centaines d’algériens participants à une manif pro-FNL en octobre 1962 en France qui ont été jetés dans la Seine et sont morts noyés ou tabassés sous les coups des hommes de Papon.
Le vrai bilan de la journée du 17 octobre 1961 (le commentateur aurait du réviser ses fiches), se situe entre 30 et 265 victimes. Du quitte au décuple, un peu dur de comparer avec les allégations de Hamé. Je n'ai pas besoin de connaître le nombre exact, car les écrits que l'on peut trouver sur la toile suffisent à donner une image de l'horreur de cette soirée de cristal à la sauce Papon. Ceci dit, affirmer que l'écrit du rappeur se réfère à ce drame 40 ans après les faits me semble rapide ; il n'y est pas fait la moindre référence dans le texte originel.
Et même si c'était le cas, ça ne le justifie en aucune circonstance. Que penserait-on d'une telle déclaration condamnant les allemands, qui ont abattu nos frères ? Qu'elle serait — au moins — déplacée, à moins de ne faire mention de la période et de supprimer la généralité en remplaçant le terme allemands par celui de nazis. Et pourtant, ici, dans notre cas, il n'y aurait pas le moindre obstacle éthique ou moral pour cracher sur la police actuelle au nom de ses crimes du passé ? Comprenons-bien que 40 ans plus tard signifie en d'autres termes que l'intégralité de ceux qui ont effectué leur première année de service en 1961 sont partis en retraite !
En outre, une plaque a été inaugurée en 2001 au pont Saint-Michel à Paris (par Bertrand Delanoë, gloire à lui), « à la mémoire de nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ». Je sais pas pour vous, mais à moi, ça m'évoque au moins un début de reconnaissance d'État.
Enfin, si Hamé faisait effectivement référence à cette sombre page de notre histoire contemporaine, ce qui reste très hypothétique, se servir d'un débordement policier vieux de 40 ans, organisé par un complice de crimes contre l'humanité, pour justifier une diatribe envers les forces de l'ordre et l'État aujourd'hui, n'est-ce pas le degré zéro de l'argumentation ? Pas loin du point Godwin à mon sens...
Non, décidément, rien ne justifie à mes yeux une telle déclaration, qui porte nettement atteinte à la considération de la police, ce qui caractérise la diffamation, et qui est tout simplement mensongère. De la même façon (eh oui, en fait, je me prononce), rien pour moi ne semble justifier la relaxe du groupe de rap, mais il est vrai que je ne suis pas au fait du jugement ni des arguments qui ont poussé les juges à cette décision, je retiendrai donc mon appréciation.
Ce climat de défiance voire de haine vis à vis de la police, qu'on peut apprécier sur Rue89, est inquiétant. Basé sur des vérités déformées assenées par des victimes auto-proclamées qui dénoncent leur mise à l'écart des médias alors qu'elles sont en fait leurs coqueluches (sentez-vous la douce odeur du complot policier contre des personnes démunies et sans défense planer sur les rédactions ?), il conduit à la défense aberrante d'une déclaration choquante et malveillante. Triste.