samedi 24 novembre 2007

Leave Manuel alone !

Il est de ces modes que seule la mode explique. « Refondation » par exemple est très prisée en ce moment. On a aussi « Manuel Valls est un pourri de social-traître », qui séduit beaucoup les bloggueurs de gauche.
Chaque mode a un évènement déclencheur, qui fut pour cette dernière l'interview du personnage dans le Figaro fin août.
Réactions en chaîne, qui permettent de manière intéressante d'aborder un peu tous les sujets.


Accusation, quels sont les faits ?


Nous pouvons faire un bout de chemin avec la majorité, à condition qu’elle nous entende, sur des sujets qui peuvent faire consensus. Je pense aux moyens qu’il faut donner à la justice, à la lutte contre la criminalité ou encore au dossier de l’immigration.

Formulation bien maladroite, dont les Manuel-basheurs se lèchent les babines :


« Le durcissement de la justice, les droits étendus donnés à la police, et la traque aux sans-papiers, pour Manu, no problemo : il kiffe. Grave. »
Comprendre une volonté de durcir la justice dans cette déclaration est au minimum une erreur de lecture, sinon une démonstration de mauvaise foi. Je lis "les moyens qu'il faut donner à la justice", or la science de la compréhension du français étant à peu près universelle, j'ai du mal à voir comment une telle erreur d'interprétation est-elle possible. Mais en effet, l'intention de donner plus de sous à nos magistrats peut, et c'est tant mieux, faire consensus.
Les droits étendus donnés à la police, outre le fait que ce ne soit pas le sujet de l'intervention du socialiste, sont ensuite mis sur le même plan que la traque des sans-papiers dont on devine le mal que l'auteur pense. Ah oui, on est chez un militant LCR : la police, c'est l'anti-justice, des skinheads qui cherchent seulement à casser du Beur et abuser de leur autorité, hein ? C'est pour ça que leur donner plus de droits (même si je ne sais pas desquels parle-t-il) serait une hérésie. Pourtant, CSP, auteur de cette diatribe, n'aurait pas craché sur des "droits étendus" aux immigrés. À la police, si. La police ! L'autorité ! Quelle horreur. Il finit sur la traque des sans-papiers. La tournure de la phrase n'est pas flatteuse, mais en effet, Valls pense que notre pays n'est pas capable d'accueillir tout le monde : « il faut donc assumer une politique de reconduite aux frontières dans le respect du droit et des personnes ». On peut transformer ce point de vue, passer de "reconduite" à "traque" parce que c'est plus marquant, mais il est bien rapide de coller l'étiquette "UMP" sur le fond, la pensée originale de Valls, pour éviter tout débat sur ce point. Ce n'est de toute façon pas ce qu'il déclare au Figaro, on dérive...
Mais CSP, comme ceux qui vont suivre, oublie le début de la phrase qui comporte une exigence préalable à ce consensus : « à condition que la majorité nous entende ». Quand on veut taper, mieux vaut oublier les passages qui ne disent pas ce qu'on souhaite entendre.


« Manuel Valls veut faire un bout de chemin avec eux? c'est impossible. Tout d'abord, cela se ferait sur leurs idées néo-cons. »
On retrouve un peu le « MoDem ? impossible, MoDem = droite », le blocage de principe. C'est le mot consensus qui provoque de l'urticaire chez certain, l'idée de ne pas constamment s'opposer à la majorité étant relativement nouvelle. Gageons que le temps aidera.
Mais ça n'est pas très sérieux, alors on trouve une explication : l'accord prôné par l'interviewé ne pourrait se faire que sur leurs « idées néo-cons ». Il aime la douleur, pour vouloir des convergences dans des domaines ou la majorité est "conne", c'est ça ?.. Oui, selon l'auteur du billet, qui écrit ensuite que Manuel Valls veut rejoindre le « goret fou furieux Hortefeux » (tout est dans la modération). Notre socialiste sur le bûcher écrit pourtant que « le projet de loi Hortefeux nie le droit de la famille, remet en cause les fondements de nos lois bioéthiques et assimile l'immigré à un délinquant ». Et il ne pense sûrement pas moins de la politique de reconductions chiffrées du ministère. Mais il est facile de prêter à quelqu'un les intentions qui nous arrangent en se basant sur une de ses citations, après avoir pris le soin de la retourner dans tous les sens. L'auteur manie ce procédé avec, il faut le reconnaître, une habilité certaine. Valls devient ainsi soutien de la méthode de Sarkozy : « il faut effrayer le bon peuple, faire naître des peurs, dénoncer des boucs-emissaires, flatter le populisme ». Ça c'est du raccourci, et du bon.


« Faire un bout de chemin avec la droite, mais la candidate de notre parti l’a déjà fait, triple couillon, en abordant des thèmes totalement étrangers à notre philosophie, en nous faisant chanter “La Marseillaise” dans ses meetings, ou quand certains de nos propres militants préféraient le drapeau français au nôtre, dans la rue et lors des actions. »
Où l'on apprend que chanter La Marseillaise, c'est faire un bout de chemin avec la droite, ainsi que de s'approprier le drapeau Français. Ah quand même. Apparemment, aimer son pays ne convient pas aux standards socialistes. Aux standards de Maxime Pisano, osé-je espérer.


« Faut-il en déduire que les députés socialistes sont invités à voter les lois répressives de Rachida Dati, peines planchers et enfermement maximum, sans politique préventive et sans moyens ? »
Si Clémentine HAutain souhaite jouer à Simplet, sans aucun doute. On retrouve l'art du raisonnement commun à tous ces détraqueurs, qui atteint ici sa splendide apogée : passer de « il faut donner des moyens à la justice » à « les députés sont invités à voter les lois [sur la justice] sans moyens » relève d'une maîtrise incontestable des déductions fallacieuses.


Accusation, quoi d'autre ?


Nous devons dire également que le travail est une valeur, que nous ne sommes pas favorables à une société de l’assistanat. Nous devons être aussi le parti de l’entreprise et des entrepreneurs, créateurs de richesses.

Travail, assistanat, entreprise, richesse, quatre mots tabous dans un paragraphe, c'était risqué.


« Et bien non Manuel, nous devons être le parti de la création et du partage des richesses, et non pas celui d'une oligarchie de profiteurs qui vivent du travail des autres. Ca commence à être énervant ce mythe de l'entrepreneur! »
Et c'est parti. Les entrepreneurs sont des profiteurs qui vivent du travail des autres. Passons sur le mythe du patron qui se repose et spolie ses salariés, pour cerner la notion d'entrepreneur. Un indépendant en entreprise individuelle en est un. Et, attention scoop, il bosse. Souvent beaucoup, pour s'en tirer avec les charges importantes dont il doit s'acquitter.
Un dirigeant de PME n'a pas le luxe de glander. Il travaille au moins autant que ses salariés (auxquels il a donné un emploi, au passage), et est loin de gagner des mille et des cents, les comptes d'une telle activité n'étant souvent pas très larges. La PME qui se fait plein de sous, paie ses employés au SMIC, et rémunère son chef par wagons de lingots, ça n'est pas un mythe, mais un fantasme de gauchistes.
Quant aux multinationales qui paient bien leurs dirigeants, c'est un autre problème, car les responsabilités n'ont absolument rien à voir avec les cas précédents. Ne pensez pas que j'esquive la question, mais elle mériterait un article à elle seule. Cependant, les gros patrons des grosses sociétés représentent une proportion tellement infime des "entrepreneurs" qu'il n'est pas malheureux de les ignorer quand on tente de généraliser sur ces derniers.
Ainsi, qualifier l'entrepreneur (« celui qui entreprend quelque chose ») de profiteur qui vit du travail des autres atteint le paroxysme du pathétique. Oui, nous avons besoin d'entrepreneurs. Nous avons besoin d'initiatives. Et enfin d'entreprises, qui, petit rappel, emploient des salariés.
Mais ce n'est même pas le propos du député socialiste, qui affirme seulement que le PS doit également rassembler cette catégorie de personne, et ne pas se limiter au milieu des ouvriers et des salariés. Car non, le Parti Socialiste n'a pas vocation à être le parti des travailleurs ni à mépriser les patrons. Il doit défendre l'intérêt de la société... comme de chacun.
Si vous comptez refonder en haïssant une partie de la population et en n'en représentant qu'une autre, le résultat sera pire qu'au départ ; épargnez-nous vos démarches. Le mythe de l'entrepreneur profiteur n'est pas énervant, seulement insupportable.


« Manuel Valls n'est pas à l'UMP, ni au MoDem, ni au MPF, ni non plus au Front national, c'est à dire dans les formations politiques qui ressassent exactement le même discours libéral sur "l'assistanat" et "l'entreprise" depuis des années. Non non, pas du tout. Il est au Parti "socialiste". Dont il paraît qu'il est de gauche. Sauf que non. Manuel Valls est de droite. »
Associer l'entreprenariat à la droite, c'est un peu comme réduire La Marseillaise à l'UMP, à la Maxime Pisano.
Et c'est succomber au même dogme pour lequel aborder les notions de pays et de patrie est une démarche de droite que de croire qu'il est contre-nature de s'adresser également aux non-ouvriers/salariés.
On n'a pas plus raison qu'on ne gagne les élections en ne s'adressant qu'à certaines personnes, qui plus est selon leur statut social. On ne décide pas pour les travailleurs ni contre les entrepreneurs (oui CSP, je suis le petit con MJS qui pense avoir tout compris, je peux dire ce qu'il faut faire et ne pas faire). Et si c'est être de droite que de vouloir gouverner pour tous, c'est triste pour la gauche. Ah, j'oubliais, ça vient d'un extrémiste de la LCR, c'est bon alors.


« Le travail comme valeur, l’assistanat… A ce niveau, ce n’est même plus une gauche de renoncement, c’est de l’abandon pur et simple! »
J'aime bien la définition de Wikipédia sur le sujet : « la valeur travail est notamment opposée à la valeur produite par les marchés financiers considérée par certains comme immorale car ne résultant pas d'un travail. » Oui, un travailleur a une valeur, il passe 35h par semaine (ou plus) à bosser. Mais pour certains, le concept est honteux, car il donne aux ouvriers, salariés, patrons, un certain mérite.
Pour l'assistanat, là où Valls reconnaît l'importance des employés et accorde un poids à leur travail, il doit dire que nous ne pouvons pas être favorables au versement perpétuel d'une aide aux démunis et sans-emplois, mais à la sortie de leur situation. Certains voient dans cette position une stigmatisation des chômeurs. C'est une erreur d'interprétation, car il est entendu qu'ils ne choisissent pas leur situation et désirent trouver un boulot.
Le député, en se prononçant pour l'insertion professionnelle plutôt que le soutien financier à vie, abonde dans ce sens.
La définition de Wikipédia de l'assistanat est également intéressante pour comprendre sa position : « les sociaux-démocrates et les sociologues emploient ce terme afin de dénoncer les insuffisances d’un système de redistribution qui ne permet pas à ceux qui en bénéficient d’améliorer leur situation et d’accéder à une réelle autonomie. Dans ce sens, ils considèrent que les dispositifs de redistribution mis en place doivent être améliorés afin de favoriser le progrès social. » Dénoncer ces positions en les assimilant à un abandon des convictions de gauche relève de l'obscurantisme idéologique souvent observable chez les TàGueurs/TàGuiens/TàGuistes/TàGueule.


Accusation, un bonus ?


Le deuxième sujet essentiel, c’est celui de l’autorité, qui est en crise. Une société a besoin de règles et d’ordre.

« Quand on sait que le premier point qu’il recommande, c’est d’admettre définitivement l’économie de marché, la distance de Valls avec les fondamentaux de la gauche commence à être sérieuse… »
Apparemment, la demoiselle a même du mal avec la reconnaissance de l'économie de marché. Et dire que Benoît Hamon et consorts basent une bonne partie de leur discours anti-social-démocratie sur ce point : « pas besoin de dire qu'on l'a accepté, on est dedans, tout le monde est d'accord là-dessus ». Et bien... non. Enfin, pour le coup, ce n'est pas Valls qui est critiqué, mais la majorité du PS. Admettre l'économie de marché ? Au bûcher, traîtres ! D'abord, c'est faux, on n'est pas dedans, et quand bien même, on peut toujours en sortir : devenons communistes ! Et si ça n'est pas ton idéal, tu t'éloignes des fondamentaux de gauche.
Pareil donc pour l'autorité et l'ordre, qui semblent être incompatibles avec nos valeurs d'après Clémentine Autain. Pourquoi attaquer perpétuellement ces notions, qui sont pourtant indispensables au bon fonctionnement d'une société ? Sans ces éléments, notre système serait anomique...
Quant à la "crise de l'autorité" dénoncée par le socialiste, je ne peux que l'appuyer, pour avoir été au collège et au lycée ces dernières années. Et je ferais mon vieux con en disant qu'en effet, ordre et autorité ne sont presque plus que des mots creux à ces niveaux.
Et je ferais également le mec de mauvaise foi en pensant à tous les régimes ne reposant pas sur l'économie de marché (et encore) que Clémentine Autain et autres CSP semblent défendre, et à leur rapport si particulier avec l'ordre et l'autorité.


Même si Manuel Valls n'y est pas allé avec des pincettes, la levée de boucliers qui a eu lieu à son encontre est révélatrice des nombreux tabous de la gauche d'aujourd'hui. Qu'ils portent sur la patrie, l'assistanat, le consensus, les entreprises, les sans-papiers, le travail ou l'ordre, ils sont nombreux et font obstacle à toute évolution de nos positions. Jamais nous n'évoluerons ainsi, et encore moins en réagissant instinctivement à certains mots-clés dans un article du Figaro en hurlant au loup sarkozyste sans même comprendre le sens des phrases dont ils sont tirées.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La page de stats m'a laissé une belle surprise ce matin :).
Oui, nous faire chanter la Marseillaise m'a choqué, pour deux raisons:
- La démarche n'était pas patriote, mais uniquement faite pour courir après la droite qui en faisait de même. Plutôt que vouloir insister pendant deux mois sur la Nation, Ségolène Royal aurait mieux fait de ne pas s'éparpiller, et insister sur la solidarité, qui elle aussi est une valeur constitutive de notre identité nationale, plus que de s'embarrasser de symbole.
- Chanter la Marseillaise, c'était oublier nos valeurs internationalistes. Jamais je n'ai entendu chanter l'Internationale, et pourtant quel beau chant, bien au-delà des frontières et beaucoup plus pacifiste que l'autre qui nous servait à rentrer, dans l'allégresse, dans le lard de nos ennemis!
Oui, considérer le travail comme une valeur n'est en accord avec nos idées, nous qui nous battons pour la réduction du travail pour le faire dans de meilleures conditions. Considérer le travail comme une valeur, c'est le considérer comme un but. Et ce n'est effectivement pas ma vision.
Je ne considère pas Valls comme un pourri de social-traître, mais je me demande juste ce qu'il vient foutre au PS. Et je ne suis pas le seul à me le demander, comme ta compilation de blogs le démontre. Jamais je n'ai jamais entendu Valls défendre les 35 heures, parler de solidarité, de progrès social. Ses discours ne font que suivre ceux de l'autre bord, ce qui est inquiétant.

t0pol a dit…

Tiens on parle de moi aussi. Je persiste et signe: Valls est tombé sur la tete et son langage flou nous nuit.
Par exemple sur les retraites: il répête les 3 arguments de Fillon, et oublie de parler de la possibilité d'élargir l'assiette des cotisation!

t0pol a dit…

je note que tu as pris des phrases en virant une partie du contexte, en particulier chez moi sur le mythe de l'entrepreneur. Tu en oublie le début de ce que tu cites.; et hop tu démarre au 1/4 de tour avec tout un paragraphe ou tu m'accuse de tous les mots sur l'entreprise. Assied toi bien, je suis a 99% d'accord avec ce que tu as écrit. Le mythe de l'entrepreneur c'est la confusion entrepreneur-créateur de richesse, qui fait qu'on méprise les salariés. Je n'ai nullement écrit que tous les entrepreneurs étaient des vampires: tu exagère comme un militant UMP le ferait.

Quand je parle d'Hortfeux c'est pour rappeller que ce serait dur à quelqu'un comme Vals de "travailler" avec lui: il a d'ailleurs rappelé il y'a peu ce qu'il pensait des lois sur l'immigration.

Militant MJS a dit…

À Maxime :
Quelqu'aient été les motifs de Royal, ils ne salissent pas La Marseillaise... Quant à l'Internationale, on sait ce que j'en pense.
De plus, reconnaître une valeur au travail ce n'est pas le considérer comme un but mais le considérer tout court. Et ce n'est pas en décalage avec nos idées !

À Dagrouik:
Je persiste et signe également.
Pour le mythe de l'entrepreneur, j'aimerais bien savoir quel est le contexte que j'ai omis ! La partie du paragraphe qui a giclé ne faisait qu'appuyer la précédente.
Et je n'oublie rien de ce que je cite, je lis en effet que nous ne devons pas être également le parti des entrepreneurs et entreprises qui semblent être les "profiteurs qui vivent du travail des autres" que tu dénonces.
Et je n'exagère pas comme un militant UMP, si on prend en compte le fait que ce passage s'adressait autant à toi qu'à CSP ;-)